Troisième dimanche de carême A - 1998/1999
Midi sur la plaine et sur le blé. Jésus est fatigué par cette route de grand soleil. Il s'est assis au bord d'un puits, celui-là même que fréquentaient jadis Jacob et ses troupeaux. Que de caravanes, de lassitudes et soifs ont abouti là ! Mais aussi que de rencontres, d'alliances et de rendez-vous amoureux se sont tissés auprès de ces eaux vives !
Elle, elle vient avec sa cruche. Elle porte toute la fatigue de sa vie, une soif d'amour jamais étanchée. Elle est venue souvent glisser sa cruche dans la cavité fraîche où sourd une eau que même le plein été ne tarit pas. Mais dans quelles profondeurs faudrait-il creuser pour étancher sa soif ?
On ne connaît pas son nom ; seulement son sobriquet : la « Samaritaine ». Un surnom d'étrangère, méprisé par les juifs depuis que les habitants de Samarie avaient contracté des alliances avec les Assyriens et élevé un temple rival de celui de Jérusalem. Des bâtards impurs et impies, qu'on ne peut fréquenter sans se souiller… C'est une femme seule, une Samaritaine, et qui n'est pas en règle avec le mariage : trois raisons largement suffisantes, pour un bon juif, d'éviter tout contact !
Mais Jésus ignore ces risques de contamination : « Donne-moi à boire ». C'est le monde à l'envers. En Jésus, c'est Dieu qui prie cette femme de venir apaiser sa soif. La femme s'étonne et, au début, ironise. Mais la surface du puits restera sans rides. Car aussitôt Jésus parle d'une « eau vive » qui désaltère définitivement et transforme celui qui boit en « source jaillissante ».
Puis voilà qu'en Jésus, c'est Dieu lui-même qui vient lui demander sa main. Après cinq douloureux échecs et la sixième liaison que vit cette femme, voilà que Dieu, en Jésus, lui offre une nouvelle alliance pleinement fidèle et comblée celle-là : « Adore le Père en esprit et en vérité ! … »
Et nous voyons cette femme sans nom, perdue, desséchée comme une terre brûlée de canicule, en attente de tout et même du Messie, accueillir dans une bouleversante sincérité la grâce qui passe. Extraordinaire Samaritaine ! D'abord parce que c'est à elle seule que Jésus, touché par sa confiance, livre son secret en murmurant : « Le Messie ? Je le suis, moi qui te parle ». C'est unique dans l'évangile de Jean ! Et ensuite, parce que loin de vouloir retenir Jésus à elle, elle abandonne sa cruche devenue inutile. Lavée et désaltérée, elle court partager la fontaine que Jésus vient de faire bondir dans son cœur. Sur la place de son village, elle fera surgir le plus beau des jets d'eau : conduire ses frères à Jésus. Toute la Samarie va venir à sa suite. Un jour, alors que Jésus sera reparti vers Dieu, la Samarie accueillera les disciples chassés de Jérusalem par la persécution.
Il ne tient qu'à nous de nous reconnaître dans cette merveilleuse petite sœur de Sychar en Samarie. Tout homme est un puits d'ombre obstrué par le péché. Jésus est le puisatier qui, par ses sacrements, vient nous creuser pour nous redonner le goût de l'eau vive de son Esprit. Il est celui qui vient mettre au jour nos plus secrètes blessures pour tout aussitôt les guérir et en faire autant de sources vivifiantes pour nos frères.
Jésus est aussi l'Epoux divin qui vient pleinement assouvir notre faim d'être aimé et d'aimer en retour. Demandons à la Samaritaine d'intercéder pour nous. Qu'elle nous obtienne la grâce de cesser de mourir de soif à côté de la source d'eau vive ! Qu'elle nous conduise à Celui qui vient faire jaillir l'eau de la vie éternelle et nous apprendre l'adoration du Père en esprit et en vérité.