Troisième dimanche de carême A - 2001-2002
Jésus découvre les êtres dans leur intérieur, avec leurs fantasmes, leurs ambitions, leur complicité avec le mal, mais aussi leurs aspirations profondes. Quoi de plus simple que la soif et la faim ? Ces instincts de vie, Jésus les conduira au plus loin, jusqu’au désir de Dieu. Servir Dieu et non se servir de Dieu, l’adorer et se laisser imprégner de sa présence pour être présents les uns aux autres. Voyons comment il applique cet enseignement dans la vie.
Aujourd’hui, il est en Samarie, du côté de Naplouse, la ville dont on parle souvent dans les actualités du Proche Orient. A l’heure actuelle, vingt siècles après, la situation n’a pas changé. Quel juif aujourd’hui s’adresserait à une palestinienne de cette région pour lui demander à boire ? L’exclusion fait partie de leur identité, même si personne ne se souvient plus de l’origine de leur différend qui remonte au premier siècle avant notre ère.
La rencontre de Jésus avec la Samaritaine reste d’une grande nouveauté : demander humblement un service à quelqu’un qui est censé être son ennemi. Bouleverser complètement la relation entre l’homme et la femme par une nouvelle vision faite de respect et d’estime. Découvrir la vraie soif de l’homme et la source d’eau vive dans le sous-sol de sa personnalité. Apprendre que Dieu cherche de vrais adorateurs en vérité et en esprit et que personne ne puisse prendre Dieu comme sa propriété. Dieu ne s’est pas lié à un lieu, même si ce lieu est le temple de Jérusalem. Dieu est esprit. On peut le trouver d’abord en soi. Il est toujours là, au fond des cœurs, nous demandant à boire.
Ce que la Samaritaine a appris de Jésus pourrait être bénéfique pour beaucoup de nos contemporains. Ils pourraient sortir de leur ignorance qu’ils considèrent comme leur incroyance. Ils découvriraient que l’Eglise est simplement l’assemblée des gens qui ont soif et qui va à la recherche de ce qui peut les étancher. La Samaritaine dit en effet à Jésus : « Je sais que l’autre va venir » et Jésus de lui dire : « je le suis, moi qui te parle » . Le temps de l’Autre est arrivé.
Dans cette nouvelle annonciation, Dieu n’épouse plus la fidèle, mais l’infidèle. Dieu ne se marie seulement avec la fille de Sion, mais avec l’exclue et la rejetée. L’épouse n’est plus l’héritière, mais l’étrangère. Les noces de Dieu ne sont plus un privilège du « peuple élu », mais une tendresse pour celle qui est perdue. Le puits de Jacob est devenu dans l’évangile de saint Jean le puits de la Samaritaine.
Ce récit ne cesse de nous surprendre surtout quand on connaît l’état actuel de ce puits. Il est comme le symbole de la dégradation des relations humaines. Pour le trouver, il faut en effet, entrer dans une chapelle construite dans l’enclos d’une église perdue au milieu d’un faubourg. Il faut passer par plusieurs contrôles pour y arriver. Et rien n’y est gratuit ni l’entrée, ni l’eau vendue dans de petites fioles. En sortant de ce lieu, on préfère rentrer chez soi et relire l’évangile de saint Jean pour retrouver la fraîcheur du vrai puits, où tout est gratuité de Dieu, tendresse de Dieu.
Il reste maintenant à se demander comment un récit aussi subversif a réussi à franchir les siècles officiels sans être censuré ? Comment a-t-il pu parvenir jusqu’à nous malgré les bûchers, les inquisiteurs et nos propres instincts de conservateurs qui ont tendance à exclure pour sauvegarder nos certitudes ?
N’oublions pas que celui qui a demandé à boire n’en est pas sorti vivant ! Pour être plus proche de lui, qui monte vers Jérusalem, l’Eglise a choisi l’évangile de saint Jean pour les trois derniers dimanches de carême. Son évangile est fait des récits de rencontre. Après les rencontres émouvantes avec les premiers disciples, André, Simon, Philippe, Nathanaël : « Avant que Philippe ne t’appelât, alors que tu es sous le figuier, je t’ai vu. ». Puis vient celle qui s’est faite nuitamment avec Nicodème, et enfin, nous voilà au puits de Jacob avec la Samaritaine. Deux autres rencontres nous seront proposées les prochains dimanches.