Quatrième dimanche ordinaire A - 2001-2002

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Quel étrange message de bonheur ! Notre monde vit d'une manière diamétralement opposée. En effet, ses valeurs exaltent la force, la puissance, l'énergie, la volonté. Les critères de réussite sont des critères « guerriers » : il s'agit de s'imposer, de se présenter face à l'autre, de lui en imposer. Et voilà que l'évangile, aujourd'hui, vante les petits, les faibles, les humbles, ceux qui n'ont rien et ceux qui ne sont rien. D'ailleurs, nous le sentons bien, chacun de nous, au fond de lui-même, se sent dérangé : il y a quelque chose en nous qui se hérisse, quand on nous dit « Heureux les pauvres, ceux qui pleurent », et même « Heureux les doux ». Alors, faut-il pleurer pour être heureux ? Faut-il connaître le malheur pour être heureux ? Que veut dire ce paradoxe de l'évangile?
Le message des Béatitudes reflète avant tout la personnalité de Jésus. Au lieu de dire : "Heureux les pauvres de cœurs, les doux..." on peut dire, parlant du Christ : "Heureux LE pauvre de cœur, LE doux...".

Il se laisse "traverser" par la volonté de son Père, il est totalement transparent, et c'est pourquoi nous pouvons savoir de la façon la plus claire qui est Dieu. A travers lui, on sait que Dieu est le Dieu des petits, des pauvres, des humbles, et c'est ainsi qu'il réalise le salut du monde. Il inaugure un monde transfiguré, dans lequel les vraies valeurs seront des valeurs de justice, de paix et de douceur.

Alors, maintenant, il faut regarder de notre côté. Et nous demander si, aujourd'hui, dans ce monde tel qu'il est, dans ce monde de violence, un monde dur, un monde d'agression, où règne une guerre totale au plan économique, qui fait beaucoup de victimes. Dans ce monde-là, peut-on être encore aujourd'hui l'homme des Béatitudes ?

C’est non seulement possible, mais indispensable. Il faut devenir pauvre de cœur. Qu'est-ce que cela veut dire ? Il ne s'agit pas de la pauvreté de celui qui n'a rien, ou qui a peu. Cela, c'est un mal. La misère, c'est un mal qu'il faut combattre. Il s'agit d'autre chose.

Nous sommes nés nus. Nous mourrons nus. Sans rien. C'est-à-dire que si nous nous considérons comme propriétaires de quoi que ce soit, nous sommes dans l'erreur. Bien sûr qu'à ma naissance, j'ai reçu un certain nombre de choses : un héritage, une culture, des manières de penser, une éducation ensuite, peut-être des biens matériels. Avant tout cela, j'ai reçu ce qui fait que je suis moi : un certain nombre de chromosomes, des gènes qui font que je suis différent de toi. Mais d'où vient tout ce que j'ai reçu ? De mes parents, certes ; mais mes parents n'ont fait que transmettre des éléments qu'ils avaient eux-mêmes reçus... et on peut remonter ainsi jusqu'au premier vivant, lorsqu'il a émergé du néant. C'est la chaîne de la vie. Cette vie m'a été transmise, avec toutes mes caractéristiques, non pour que je la garde, mais pour que je la transmette. Tout ce que je suis, tout ce que j'ai, je le transmettrai. Si bien que je ne peux que me considérer comme le maillon d'une immense chaîne. Ce qui me donne une certaine humilité : je ne vais pas me considérer comme le « nombril du monde ». Mais ce qui me donne également une valeur : je vais me sentir solidaire de tout ce qui vit, de tous ceux qui, comme moi, sont des maillons de la même chaîne. Et ce que j'ai reçu, si je le garde pour moi (c'est cela, être riche : garder pour soi ce qu'on a et ce qu'on est, pour son profit, sa sécurité ou son plaisir, sans rien transmettre), je me coupe. Et je fais mon malheur. Et je fais le malheur des autres, puisque je ne transmets rien, puisque je ne communique pas.

Se sentir pauvre, à l’opposé, c'est se sentir gestionnaire de tout ce qu'on a, de tout ce qu'on est. Si chacun de nous mettait au service de ses frères, non seulement ce qu'il possède, mais ses dons naturels, il connaîtrait le bonheur. Car la vraie valeur, c'est d'être en relation. D'être relié, et pas coupé des autres. Ne croyez-vous pas que ce serait notre bonheur personnel ? Ne croyez-vous pas surtout que nous construirions  alors un monde de bonheur ?!

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