Cinquième dimanche dans l'année B - 2003

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Le cri de Job est celui de la souffrance innocente. Il blasphème et il adore, il en appelle à Dieu contre Dieu. Il refuse les explications toutes faites du mal et de la souffrance que lui opposent ses amis. Je me rappelle avoir pu aider un papa révolté par la mort accidentelle de son fils de 18 ans en lui disant, alors qu’il exprimait sa révolte contre Dieu : « vivez votre révolte, criez-la. » Dès le lendemain, il venait me retrouver, très douloureux, mais mystérieusement apaisé… La souffrance reste une énigme et la mort aussi. Il n’y a pas de réponse. Il y a une Présence mystérieuse au cœur du mal, que Job a pressenti et que Jésus est venu accomplir.

Job est la rude question de l’homme déchiré par la souffrance. La réponse de Dieu, c’est la descente du Fils dans l’enfer de la douleur. C’est bien ce que Paul a compris quand, à la suite de Jésus, il veut devenir « le serviteur de tous » et se faire « tout à tous ». C’est d’ailleurs ce dont ont besoin nos contemporains : non pas d’une théologie qui prétend avoir réponse à tout ou d’aménagements certes utiles dans l’organisation des paroisses, mais avant tout de témoins qui leur révèlent la présence agissante de Dieu au sein du malheur et de l’injustice.

Job réclamait à cors et à cris une explication à la souffrance. Sur ce point, Jésus ne répond pas. La souffrance n’est pas de l’ordre de l’explicable, elle est de l’ordre du mystère. J’entendais à la radio le témoignage du romancier Eric-Emmanuel Schmitt parlant de sa conversion : «  en devenant croyant, disait-il, je suis passé d’un monde qui n’a pas de sens à un monde mystérieux ». Jésus n’a pas répondu par des phrases. Selon le beau mot de Paul Claudel, il n’est pas venu « supprimer le mal, encore moins l’expliquer ; il est venu le remplir de sa présence.

Sous l’apparente naïveté du récit de Marc et sous son évidente vivacité, sachons relever la pointe de sa narration : « Il s’approcha et il la releva en lui prenant la main ; la fièvre la quitte et elle se mit à les servir. » Le verbe relever désigne très souvent dans le Nouveau Testament la résurrection des morts. Jésus descend jusqu’aux enfers pour vaincre le mal à sa racine : la mort. Jésus a traversé la mort  pour nous donner de la vaincre avec ses propres armes.

Marc alors esquisse le profil de Jésus. Il est d’abord l’homme de la Parole. Il sort de la synagogue de Capharnaüm où il vient de donner un enseignement et il brûle de parcourir « les villages voisins afin que là aussi je proclame la Bonne Nouvelle ». La plus grande richesse d’un homme, la véritable matière première d’une nation, c’est sa formation, son potentiel humain, ses cerveaux, son intelligence. En Jésus, nous avons à grandir aussi dans l’intelligence de la foi  et du cœur.

Jésus est aussi l’homme du combat. Il s’agit évidemment du combat spirituel, « plus sanglant que les batailles humaines », disait Arthur Rimbaud, le combat contre l’adversaire redoutable de Dieu et de l’homme, l’esprit du mal qui empêche l’homme d’être en harmonie avec Dieu, avec ses frères, et avec lui-même. « Jésus la prit par la main, et il la fit se lever ». Pour nous sauver, Jésus fait un geste corporel. Chacun des sacrements de l’Eglise est un signe, un contact physique, par lequel passe la grâce qui nous libère de tout mal.

Jésus, enfin, est l’homme de la prière. Quelle lumière sur la vie profonde de Jésus dans ce trait de l’évangéliste : « Au matin, à la nuit noire, Jésus se leva, sortit et s’en alla dans un lieu désert ; là, il priait ». Prière prolongée, privée, nocturne, elle féconde ses paroles et ses actes. Plus un homme va loin en lui-même, plus il augmente le poids de ses dits et de ses gestes. Un homme qui ne prie pas « n’a plus de dedans », disait le philosophe Nicolas Berdiaeff. Jésus est l’homme des profondeurs. Des abîmes du cœur de Dieu, il est sorti pour ramener à la maison paternelle l’homme perdu de souffrance.

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