Sixième dimanche dans l'année B - 2003

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La lèpre dans la Bible fut le plus terrible fléau et le plus mystérieux. Le livre du Lévitique lui consacre deux chapitres entiers. Le législateur est surtout préoccupé de détecter les symptômes, non pas pour soigner le mal, ce dont ils étaient bien incapables à l’époque, mais pour exclure le malade de la communauté dont il met en danger la sainteté. Plus qu’une maladie, la lèpre est une impureté, un châtiment divin. Terrible est la condition du lépreux dans l’antiquité. Déclaré impur, il se retire à l’écart pour se lamenter sur lui-même, comme on pleure sur un mort. Il est exclu de toute relation humaine et de toute consolation religieuse. Avec les siècles, quelques adoucissements seront bien introduits. Mais il faudra l’arrivée de Jésus pour voir traiter le lépreux comme un frère aimé. Plus. Jésus se fera l’un d’eux, « …méprisé, abandonné de tous, homme des douleurs, familier de la souffrance, semblable au lépreux dont on se détourne…frappé de Dieu et humilié » (Isaïe 3,3-4).

Contemplons le récit que nous offre l’évangile. Devant ce malheureux, qui enfreint les prescriptions légales pour s’approcher, Marc note chez Jésus un regard de compassion. « Pris de pitié », écrit-il. Quel puissance d’accueil chez lui ! Rien ne le rebute, rien ne le dégoûte, rien ne l’effraie.  Si Dieu s’est enfoui dans la pâte humaine, s’il s’est fait proche de la chair putréfiée et du cœur pourri, c’est pour les irradier de sa sainteté, les épurer de son incandescente pureté.

Jésus ose davantage encore. Il y a ce roman d’une beauté poignante de l’indienne Arundhati Roy, - « Le Dieu des Petits Riens »-, qui montre ce qu’est le rejet du paria. Eh bien Jésus a ce geste scandaleux de toucher de sa main l’intouchable. Ets il lui dit : « Je veux, sois purifié ». Derrière la simplicité des mots de Marc sachons deviner l’abîme de l’Incarnation du Fils de Dieu, l’Humanité de Jésus porteuse de vie divine. Il est le Grand Sacrement de la rencontre de Dieu et de l’homme, dont tous les autres sacrements tirent leur efficacité. Il parle et il touche : on pense à, la main de Dieu, dans la fresque de Michel-Ange au plafond de la Chapelle Sixtine, cette main qui communique à celle de l’homme l’étincelle de la vie. Pour communiquer aux morts-vivants que nous sommes la purification divine, la sainte humanité de Jésus nous touche, nous atteint physiquement. Nous sommes plongés dans l’eau du baptême, nous mangeons le pain de l’eucharistie, tandis qu’une parole accompagne ces gestes corporels : « Je te baptise au nom du Père, du Fils, de l’Esprit » ; « Voici le corps du Christ ».

Le récit pourrait s’arrêter là, mais il rebondit. Jésus renvoie l’homme, et même quand on traduit de près le texte grec, il faut lire : « l’ayant rudoyé, il le jette dehors ».  Et comme il a imposé silence aux démons, il enjoint rudement au miraculé de se taire. ‘Ne dis rien à personne ». Pourquoi cette attitude déroutante ? Jésus craint peut-être l’enthousiasme irréfléchi des foules, la suspicion des malades. Mais ne faut-il pas aller plus loin ?

Ce n’est pas tant l’homme que Jésus rabroue, que le Malin. La lèpre est comme le rictus de Satan. La lèpre, pas celle du bacille de Hansen ou du virus du Sida, mais celle qui défigure l’humanité, celle qui gangrène le cœur humain, la lèpre du péché qui fait de tant de lieux sur la terre autant d’enfers Jésus n’a pas besoin qu’on s’arrête au spectaculaire, mais qu’on descende lentement jusqu’au mystère de sa personne. Le sauvetage radical qu’il propose ne peut se comprendre qu’à la lumière de sa mort et de sa résurrection. Il veut qu’on mesure ce qu’il en coûte de sauver l’homme du mal et de la mort.

Qu’attendons-nous de Jésus ? De quelle lèpre désirons-nous être purifiés ? Quelle maladie intérieure ronge en nous et la santé et la sainteté ? Demandons la grâce de la conversion. Et n’oublions pas tous les « lépreux » devant notre porte, tous ceux qui sont humiliés, méprisés, bafoués, maudits. « Va et fais de même », disait Jésus au légiste après la parabole du Bon Samaritain. Laissons l’amour en nous être plus fort que tout en découvrant en tout homme un frère.

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