Vingt-huitième dimanche dans l'année C 1997-1998

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Le récit de Luc est construit sur une distance qui devient une proximité. Distance des 10 lépreux qui ne peuvent pas s ‘approcher d’un homme en bonne santé. Distance de ces hommes qui doivent se comporter comme s'ils étaient déjà guéris de ce mal qui les détruit à petit feu. Ils ont à se rendre, encore malades, vers les prêtres, seul habilités à constater officiellement leur guérison. Dernière distance qui est celle qui sépare le Samaritain, l'étranger, l’ennemi d'Israël, donc de Jésus. Eh bien, toutes ces distances vont être franchies par la foi.

Premier degré de foi, que franchiront les dix lépreux : la foi consiste à anticiper. « La foi est le moyen de posséder déjà ce qu'on espère, et de connaître des réalités qu’on ne voit pas » (Hébreux 11, 1). Sur une simple parole, ils se mettent en route pour aller trouver les prêtres, alors qu'ils n'ont encore aucune preuve de leur guérison. Mais leur confiance en une parole entendue leur suffit pour les mettre en route. Ils vont retrouver la santé. C'est déjà remarquable, n'est-ce pas, de croire sur parole ! Si seulement nous en étions là !

Par contre, le Samaritain va plus loin. Il franchit l'étape décisive de la foi. Il supprime toute distance entre lui, le bénéficiaire de la guérison, et Jésus, l'auteur de cette guérison. Il passe du bienfait reçu à la reconnaissance de la personne par qui ce bienfait est offert.

Pour ses neuf camarades, Jésus n'est que l'instrument de la guérison, alors que pour lui, Jésus est le terme de la foi. Ainsi il sort de la guérison pour accéder à la relation. Il « glorifie Dieu » et « rend grâce à Jésus ». Dieu et Jésus sont confondus, réunis, dans un même remerciement. C'est pourquoi, si les dix sont « guéris », un seul est « sauvé ». Ce Samaritain, le voici maintenant « aux pieds de Jésus ». Toutes les distances sont abolies. Seul celui qui était le plus loin (l'étranger) saura se faire vraiment proche. Il va dépasser l'interdit de la Loi, puisqu'il s'avance près de Jésus avant d'avoir fait constater sa guérison par le prêtre. Et Jésus va le « relever », cet homme prostré devant lui. Le mot « relever » est un des deux mots grecs employés par les premiers témoins pour dire la résurrection du Christ. Dans le contexte pascal qui est celui de notre récit, il me semble que Jésus, relevant l'étranger, nous signifie combien il veut que l'homme, tout homme, soit un « homme debout », un vivant. « La gloire de Dieu c’est l’homme vivant », a dit superbement saint Irénée. La foi de ce Samaritain ne l'a pas seulement amené à la santé, mais déjà à la vraie vie, la vie divine, dans une étroite proximité avec le Dieu qu'il sait reconnaître en la personne de l'homme-Jésus qui l'a remis sur pied. Tous les hommes - vous, moi - crient souvent leur détresse vers Dieu, même s'ils ne nomment ni Dieu ni le Christ. En tout homme, il y a si souvent une protestation contre le mal. Dieu entend ce cri, qui est comme le premier degré de la foi. Mais beaucoup ne vont pas plus loin dans la démarche de foi. Ils ne vont pas au bout, qui est reconnaissance aux deux sens du terme.

Reconnaissance, parce qu'on tient à dire merci. Reconnaissance parce qu'on sait reconnaître l'origine du don reçu. Ne sommes-nous pas, souvent, comme les neuf lépreux qui n’oublient pas de se plaindre de leurs difficultés, mais n’ont pas la louange facile lorsque tout va bien… Ayant obtenu ce qu'ils voulaient, ils se referment sur leur santé recouvrée, sans un mot de gratitude.
Heureusement , à d’autres moments, nous savons vivre l’attitude si belle du Samaritain de l’évangile : ces parents qui apprennent à leurs petits à dire merci dans leur prière ; ces chrétiens qui vont à la messe non « pour que ça leur rapporte », mais déposer leur « eucharistie », leur reconnaissance hebdomadaire. Heureusement que nous savons dire merci à nos vieux parents sans attendre qu’ils soient morts…

Soyons de ceux qui remettent debout les autres par un mot de « merci » et des gestes de gratitude.

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