Cinquième dimanche de carême C - 2000/2001

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Que savons-nous de cette femme dont nous parle l’évangile ? Rien. Est-elle jeune, quel est son nom, son visage ? Rien. Tout ce que nous savons d'elle, c'est qu'elle a été surprise en flagrant délit d'adultère. Elle est le type même de la « femme-objet ». Objet de convoitise, puis objet de mépris, elle devient objet qui va servir à régler une méchante querelle entre pharisiens et Jésus. Elle est comme déjà morte. On ne lui parle pas : tout se passe par-dessus son dos.

Dépités du succès de Jésus, les pharisiens utilisent cette malheureuse pour le coincer. Ils la lui amènent et l'invitent à se prononcer sur son cas : « Dans la Loi, Moïse nous a commandé de lapider celles-là. Toi donc, que dis-tu ? »

Le piège est redoutable. Si Jésus s'associe à la condamnation prescrite par la Loi, il entre en rébellion contre le pouvoir romain qui s’est réservé la peine de mort. Et il contredit, du même coup, son enseignement subversif sur le Dieu de miséricorde. Mais s'il ne le fait pas, il s'oppose à Moïse, l'autorité suprême.

La réponse de Jésus se fait d'abord silence. Tant qu'accusations et malveillances tombent sur la femme, on le voit étrangement occupé à tracer des traits sur le sol. Baissé vers le terre, il évite les yeux injectés de sang de ces hommes surexcités S'il avait commencé par les fixer du regard, c'est leur propre provocation qu’ils auraient lus dans ses yeux, comme dans un miroir. L'affrontement deviendrait inévitable, la lapidation de leur victime et celle de Jésus le serait autant. Courbé sur le sable, il attend que se calme la meute. Il dédramatise la scène.

Lorsque enfin le tumulte s'apaise, il se redresse. Sa parole met alors devant leur responsabilité ces assassins en puissance, inconscients du crime qu'ils sont prêts à perpétrer : « La Loi prescrit de lapider ces femmes-là. Eh bien, que celui d'entre vous qui est sans péché jette la première pierre ».(8, 7) Puis il reprend ses vagues dessins dans la poussière. Plutôt que de lancer l'un après l'autre leur pierre, lentement, ils s'en vont, « à commencer par les plus âgés ».

Tous sont partis; tous, sauf la femme qui est toujours là. Et lui. «Ils ne restaient plus que deux, écrit superbement saint Augustin, la pécheresse et le sauveur, la malade et le médecin, la misère et la miséricorde » . La femme aurait pu s'enfuir, mais elle reste là. Très doucement, Jésus lui parle. Et sa question est teintée d'humour : «Femme, où sont-ils? Personne ne t'a condamnée ? » - «Pas un, Seigneur.» - Alors Jésus dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas…» (8, 10-11)

Si les hommes, au cœur dur, toujours sur le point d'entrer dans la spirale de la violence,  ne t'ont pas condamnée, comment le cœur infiniment miséricordieux de Celui qui est sans péché pourrait-il t'accuser ?

«Va, désormais ne pèche plus ». C’est un mot de résurrection. « Voici que je fais un monde nouveau », disait Isaïe. Et saint Paul : « Oubliant ce qui est en arrière, tendu vers l’avenir, je cours vers le but ».

Dans un livre récent, Didier Decoin imagine ainsi la réaction de la femme : « Elle était rudement bien trouvée, son histoire de la première pierre. Leur tête aux autres, quand ils ont filé en rasant les murs ! Il les a bien eus, pense-t-elle, si je savais seulement qui il est, il m'aurait pour toujours... » (« Jésus, le Dieu qui riait » Stock 1999, page 215-216. )

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