Cinq partitions pour le mystère de Noël- 2009/2010

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Homélies Noël et la Sainte Famille

Pour fêter l'incarnation du Seigneur, chaque année, la liturgie catholique nous offre quatre passages de l'Évangile. Cette année, comme Noël tombe un vendredi, il est suivi par le dimanche de la Sainte Famille. Parcourons ce chemin en entier et laissons ces textes se dérouler en cinq partitions pour un même mystère.

1. La veille : Continuité, rupture, nouveauté.
À l'image de la création, l'avènement de Jésus est quelque chose de complètement neuf.  « Voici la table des origines de Jésus Christ, fils de David, fils d'Abraham… » C'est une origine… Et cela se retrouve à la fin de la généalogie car il est dit que « Jacob engendra Joseph l'époux de Marie, de laquelle est engendré Jésus celui qui est appelé Christ » (Mathieu 1, 16). La formule sert à dire une rupture. Jésus naît dans la foi d'Abraham, il naît dans la lignée du Messie, au creuset d'une humanité qui n'est pas en tout glorieuse, loin s'en faut. Mais la nouveauté inouïe de cet enfant né à partir de rien, puisqu'il n'y a pas d'homme qui l'a conçu. Il ne sera fils de Joseph que par adoption. Noël nous fait reconnaître que Dieu seul peut faire du neuf. En Jésus-Christ est la nouveauté. Joseph n'en est pas le père comme celui qui l'a conçu, mais comme celui qui l'a reçu. Cet enfant né d'une vierge est l'irruption d'une nouvelle création. Noël est la fête de l'abyssal. L'infini a pu se rendre petit ; Dieu s’est fait enfant.

2. La nuit : une naissance encombrante.
A Noël hélas, beaucoup  de gens souffrent d'un lancinant sentiment de solitude.  L’évangile de la nuit indique qu'il n'y avait pas de place dans la salle commune pour accueillir celle qui allait enfanter. Noël voit se tendre en nous ce tiraillement entre l'exigence d'accueillir les plus démunis (SDF, les sans papiers) et la grande difficulté d’y parvenir.
Mais, s'il n'y a pas de place lorsque Jésus va naître, c'est peut-être aussi que cette naissance a quelque chose d'encombrant. En fait, s'il est difficile de laisser de la place à cette naissance, c'est que le couple de Marie et Joseph va mettre au monde un petit enfant, certes, mais qui, en un sens, est bien encombrant. Ne vont-ils pas devoir fuir à cause de lui tandis qu'Hérode tuera des innocents.  Dans sa mangeoire, cet enfant ne prend pas de place ; Dieu s'est fait petit. Mais dans la vie de l'humanité et pour chacun, nous nous rendons compte qu'il va en prendre beaucoup si nous voulons être des croyants sérieux. Il va habiter notre prière, nous questionner sur le sens de la vie, nous interroger sur notre manière d'aimer.
Avec Noël, le désir nous prend d'essayer de faire de la placepour que Dieu puisse être accueilli, avec son cortège d'anges, mais aussi de gens délaissés et parfois déroutants, avec son lot d'événements inattendus et encore inconnus. Fêter Noël, c'est être dans ce paradoxe de tenir sa place (car chacun de nous a son lot de responsabilités humaines), et en même temps s'effacer, pour que ce qui est nouveau puisse toujours faire irruption au fond de toute nuit.

3. L’aurore : Marie conservait toutes ces choses. I
l n'est pas rare que des gens disent leur malaise devant l'explosion des illuminations commerciales avant la fête de Noël. Pour beaucoup, Noël est un émerveillement qu'on laisse monter tout au long de l'avent, mais pour bien d'autres, c'est une incapacité à entrer dans une joie qui s'offre. Entre deux « Il est né le divin Enfant » et avant de faire bonne chère, nous nous demandons peut-être si nous sommes en accord avec la joie des anges qui chantent la naissance de l'enfant qu'ils appellent « Sauveur ».
On entend à l'aurore de la fête de Noël que « Marie conservait tout cela dont elle entendait parler » (Luc 2, 19). On peut tenter de dire qu'elle « retenait tous ces événements en en cherchant le sens ». Cette attitude nous rappelle qu'il y a un sens à chercher à l'écho de tant de plaintes et d'espoirs qui retentissent dans les médias, mais sans aller trop vite. Marie, elle, retenait tous les événements. Et « la Parole s'est faite chair », dit l'évangile de la messe du jour de Noël. La Parole s'expose à l'expérience de la vie et à la croissance d'un enfant qui va grandir. La Parole s'est faite chair sous le visage d'un nouveau-né. La Parole ne parle pas tout de suite, pour pouvoir dire bien plus de choses, et pour pouvoir les dire bien plus profondément.

4. Jour de Noël : La Parole en échec  (Jean 1, 10).
La Bible s'ouvre sur la contemplation de Dieu qui crée par sa Parole. Au cœur de la création, il y a la Parole. Tant d’hommes souffrent de ne pas oser ou de ne pas pouvoir parler. Bien des gens sont détruits de n'avoir pas su parler à leur proches au moment où se creusait une difficulté.
La Parole, elle, « demeurera parmi nous ». Forte et fragile. Grande et humble. Cette Parole qui était « au commencement », qui « était Dieu », et qui « s'est faite chair ». Elle est Parole de notre Dieu, et celle de l'homme la prolongera. La Parole demeurera, même cachée dans la miséricorde, dans la tourmente, dans le silence et dans l'absence. Même dans la mort sur la croix. Et si l'on croise les évangiles de la nuit et du jour de Noël, le nouveau-né de saint Luc, dans la mangeoire, nous fera dire que la Parole de Dieu est venue comme un enfant, qui, selon l'étymologie, est celui qui ne parle pas. Quel paradoxe que celui de « la Parole qui ne parle pas », disait saint Bernard de Clairvaux. Oui, la Parole « demeurera parmi nous », parce que la Parole s'est faite chair, d'une fragilité qui est la nôtre et qui nous donne alors de voir et de dire l'invisible. Noël est la fête de naissance de la Parole dans notre monde en déroute, la Parole faite chair qui traverse l’échec.. 

5. Sainte Famille : « comme nous avons souffert… »
Je vous disais il y huit jours qu’il n’est rien de nos épreuves que Marie n’ait connu avant nous et qu’elle ne puisse donc doucement partager avec nous. Certes, aujourd'hui, à douze ans,

les peurs des parents se situeraient sans  doute plus du côté de la première cigarette de canabis  que de la fréquentation de l’église ! N’empêche que  la première parole de Jésus que nous connaissions, et qui est le centre de ce récit, est bien rude. A la question de sa mère : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? », Jésus se dit l’enfant d’un autre ! Il affirme que Dieu est son vrai père : « C’est chez mon Père que je dois être. »
Marie et Joseph sont stupéfaits. Ils ne comprennent pas. Il y a un abîme entre leur façon d’être parents et la façon unique dont Dieu est le père de Jésus. « C’est chez mon Père que je dois être… » Ce mot « je dois » reviendra souvent dans la bouche de Jésus quand il parlera de sa passion : « Il faut que… » Il doit être à la disposition du Père, d’une obéissance libre, voulue, aimante.
Puis le rideau tombe. Jésus et ses parents rentrent à Nazareth. Et Jésus leur est soumis. Lui, l’égal du Père, se soumet. On n’entendra plus rien de lui pendant près de vingt ans. Mais il grandissait ! En quoi ? En sagesse (celle de l’Esprit Saint qui l’habite), en taille et en grâce.
Marie, elle, garde dans son cœur tous ces événements. Une fois de plus, la foi a été mise à l’épreuve. Elle entend les annonces les plus surprenantes (à l’annonciation, à la présentation de Jésus au temple, lors de sa fugue à douze ans) et en même temps elle mène avec son enfant la vie qui est celle de toute mère de famille.
Nous voilà loin d’une famille idéale ! La « sainte famille » connaît des incompréhensions, des reproches, des déchirures : « Pourquoi ? Vois comme nous avons souffert… Ne saviez-vous pas ? » Mais c’est bien ainsi que la famille de Nazareth est pour nous un modèle qui doit nous encourager : c’est une famille comme une autre, avec ses hauts et ses bas ; c’est une « sainte famille », comme sont appelées à l’être chacune des nôtres unies, déchirées, recomposées, car à chaque instant elles peuvent se laisser visiter par le pardon et la grâce du Seigneur.

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