Troisième dimanche de Pâques C - 2009/2010
Ce qui me touche le plus cette année dans cette très belle page de saint Jean , c’est sa simplicité et sa familiarité. Il nous montre les apôtres qui ont repris leur vie ordinaire et retrouvé leur profession de pêcheurs après la disparition de Jésus. Pêcheurs qui, au petit matin, rentrent bredouilles. Sur la rive pourtant, un inconnu dans la douce clarté du soleil levant les invite à jeter encore leurs filets. Ce qu'ils font, et cette fois avec un succès tel qu'il ouvre les yeux du « disciple que Jésus aimait » qui s’écrie : « c’est le Seigneur ! » Et voici qu’ils découvrent au bord du lac un feu de braise où tiédissent des poissons et du pain. Le partage du pain et de la nourriture, comme pour les disciples en route vers Emmaüs, leur révèle la présence du Ressuscité.
Cette surprenante modestie de la manifestation du Christ à ses disciples n’a rien des traits habituels du divin dans toutes les religions. On aurait pu s'attendre à ce que le Ressuscité se montre à eux avec éclat, dans l'éblouissement d'une révélation surnaturelle et imposante. Rien de tel ici : pas de spectacle, pas de ces théophanies où la divinité apparaît suscite un respect sacré et quelque peu terrifiant. Le Ressuscité entre dans la vie de ses disciples à travers leur métier de pêcheur, à travers l’expérience humaine qui leur est familière, en leur proposant un repas amical sur un coin de d’herbe autour d’un feu qui couve. Rien que du familier et du quotidien.
Nous retrouvons la même familiarité et une identique absence de manifestation extraordinaire chez Saint Luc. Souvenons-nous des deux disciples qui sur la route d'Emmaüs ruminent leur déception devant cet inconnu qui se joint à eux. Eux non plus ne voient qu'un visage familier dans cet inconnu : il faudra d'un côté la relecture des Ecritures pour asseoir leur espérance en déroute et de l'autre le partage du pain pour qu'ils reconnaissent dans ce passant anonyme la présence du Ressuscité. C'est que chez Jean comme chez Luc, nous touchons un trait essentiel de la présence du Ressuscité, et finalement de Dieu lui-même, tel que nous le révèle la foi chrétienne. Jésus-Christ ressuscité ne se rencontre nulle part ailleurs que dans notre existence ordinaire : chercher l'extraordinaire, attendre des éblouissements ou des révélations merveilleuses, conduirait à l'impossible reconnaissance de ce Dieu qui nous rejoint dans notre humanité même. Il ne nous apparaît pas dans la tempête ou l'orage, dans l'exceptionnel ou le hors norme. Il se fait présent à nous dans la familiarité et la simplicité d'un Dieu qui a pris visage humain, qui n'est rien d'autre que ce visage familier, aussi ténu que « le murmure d’une brise légère » (2 Rois 19, 12).
En réalité quelle plus belle image peut-on donner de la transcendance ou du Tout-Autre ? Comme il sera dit au matin de l'Ascension à des disciples qui attendent encore un coup d'éclat, n'allez pas chercher très loin Celui qui est présent dans le concret de votre vie, qui est ce compagnon familier qu'on ne trouve pas ailleurs que dans le partage du pain, donc aussi dans le visage de tout autre. Bouleversante Révélation de Dieu en réalité : Celui-ci n'est jamais où l'on croit, dans un au-delà inaccessible ou dans des manifestations bouleversantes. Il s'est fait l'un des nôtres ; il habite parmi nous ; il nous est plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes (Saint Augustin). Nous devons l'accueillir là où Il se manifeste, au plus profond de nos cœurs si nous prenons la peine d'y descendre, dans le pain partagé avec l’inconnu (souvenons-nous du « c’est à moi que vous l’avez fait » de Matthieu 25), dans l’eucharistie enfin, - table de la Parole et table du Pain -, qui constituent le vrai lieu de la reconnaissance du Dieu de Jésus-Christ, du Dieu qu'est Jésus-Christ, du Tout-Autre enfoui au cœur de notre humanité.