Cinquième dimanche du Carême C - 2012/2013

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Que connaissons-nous de cette femme dont nous parle l’évangile ? Son âge, son nom, son visage ? Non : nous n'en savons rien. Elle a été surprise en flagrant délit d'adultère, voilà tout. Elle est le type même de la « femme-objet ». Objet de convoitise, puis objet de mépris, elle devient objet qui va servir à régler une vilaine querelle entre pharisiens et Jésus. On ne lui adresse pas la parole. Tout se passe par-dessus son dos. Elle est comme déjà morte. Le seul intérêt qu'elle présente, c'est qu'on puisse, à travers elle, piéger Jésus.

Car c'est bien cela qu'il s'agit : manipuler cette malheureuse pour coincer le Nazaréen. Prononce-toi donc  : « Dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, qu'en dis-tu ? »

Le piège est redoutable, mortel même. Si Jésus s'associe à la condamnation prescrite par la Loi, il entre en rébellion contre le pouvoir romain qui s’est réservé la peine de mort. Mais s'il ne le fait pas, il s'oppose à Moïse, l'autorité suprême.

Jésus plonge dans le silence. Tant qu'accusations et malveillances tombent sur la femme, on le voit étrangement occupé à tracer des traits sur le sol. La tête baissée, il évite les yeux injectés de sang de ces enragés. S'il avait commencé par les fixer du regard, ce serait leur propre furie qu'ils auraient lue, reflétée comme dans un miroir. L'affrontement serait devenu inévitable, la lapidation de leur victime, et sans doute celle de Jésus aussi, quasi automatique. Courbé sur la poussière, il attend que la meute se calme.

Lorsqu’enfin le bruit s'est apaisé, il se redresse. Sa parole place alors ces assassins en puissance, inconscients du crime qu'ils sont sur le point de commettre, face à leur responsabilité. « La Loi prescrit de lapider ces femmes-là. Eh bien, que celui d'entre vous qui est sans péché jette la première pierre. » S'inclinant à nouveau, il reprend ses vagues ébauches. Et voici que, désarmés, lentement, ils s'en vont l'un après l'autre, « à commencer par les plus âgés ».

Tous sont partis. Tous, sauf la femme penaude, éperdue.

Et lui. « Ils ne restaient plus que deux, commente magnifiquement saint Augustin, la pécheresse et le sauveur, la malade et le médecin, la misère et la miséricorde ». Elle aurait très bien pu s'enfuir. Elle est restée là.

Alors, avec une infinie douceur, Jésus peut la regarder sans l'humilier. Il lui parle, légèrement ironique d'abord : « Femme, où sont-ils ? Personne ne t'a condamnée ? » - « Pas un, Seigneur.» - « Moi non plus, je ne te condamne pas…» Si les hommes, au cœur au cœur de pierre, toujours prêts à tomber dans la spirale de la violence, ne t'ont pas condamnée, comment le cœur infiniment miséricordieux de Celui qui est sans péché pourrait-il t'accuser ?

Puis la douceur se teinte de gravité : « Va, désormais ne pèche plus ». Le péché est condamné, pas le pécheur. « Ce n'est pas la toute-puissance de Dieu qui nous menace, ni ce qu'on appelle sa gloire, c'est sa douceur déchirante. C'est l'éternelle et limpide innocence de Dieu qui brise notre coeur » a écrit André Frossard (Il y a un autre monde, Fayard 1976).

« Va, désormais ne pèche plus » C’est un mot de résurrection. Un mot qui remet debout, qui trace un chemin, qui ouvre un avenir, qui envoie vers un bonheur exigeant. « Parce que j'aurai fait couler de l'eau dans le désert, des fleuves dans les lieux arides » , disait Isaïe. Et saint Paul : « Oubliant ce qui est en arrière, tendu vers l’avenir, je cours vers le but ». Nous avons chanté avec le psaume : « Qui sème dans les larmes moissonne dans la joie. »

Avec Dieu, on peut toujours dépasser son passé, ce qui ne veut pas dire le supprimer. La faute, la blessure seront toujours là. Mais elles ne suppureront plus. Elles deviendront sources de vie, d'humilité et de compassion.

Tout dernièrement, j'ai lu, avec surprise, que ce terrifiant nazi qu'était Seyss-Inquart (responsable parmi des dizaines de milliers d'autres, des meurtres d'Edith Stein et de sa sœur Rosa, d'Etty Hillesum et de toute sa famille), est revenu au catholicisme de son enfance et s'est confessé peu avant sa condamnation prononcée par le tribunal de Nuremberg. Avant de subir la peine capitale, il a simplement souhaité que sa mort puisse servir à la réconciliation des peuples. « Point de prodigue sans pardon qui le cherche. Nul n'est trop loin pour Dieu...»

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